Il y
a 75 ans, le 12 mai 1944 :
premier bombardement meurtrier sur les
chantiers
de l’usine de « Brüx-Hydrierwerk »
« L’enfer de Brüx »,
premier bombardement meurtrier sur les chantiers
de l’usine de « Brüx-Hydrierwerk »
« L’enfer de Brüx »,
expression
qualifiant un site tristement célèbre du Stalag IV C !
« Il est difficile de résumer en quelques mots les conditions d'existence de ces prisonniers. Il est pénible de voir ces hommes être dans de telles conditions de captivité. »
(J.E. Friedrich, délégué du C.I.C.R. suite à la visite du détachement de travail de "Brüx-Hydrierwerk", dépendant du stalag IV C, le 26 juin 1943).[1]
expression qualifiant un site tristement célèbre du Stalag IV C !
« Il est difficile de résumer en quelques mots les conditions d'existence de ces prisonniers. Il est pénible de voir ces hommes être dans de telles conditions de captivité. »
(J.E. Friedrich, délégué du C.I.C.R. suite à la visite du détachement de travail de "Brüx-Hydrierwerk", dépendant du stalag IV C, le 26 juin 1943).[1]
Le Stalag IV C compte, dans l’Allemagne nazie, parmi la minorité de
stalags où les kommandos industriels l’emportent. En effet, en pleine Saxe
industrielle (chimie, textile, porcelaine, etc.), ce stalag compte 75% de
kommandos industriels. Il faut se rendre dans la Ruhr pour trouver des
kommandos qui donnent une prépondérance à l’industrie dans la circonscription du
stalag VI D (90%). Il y a encore 41,6% de kommandos industriels au stalag VI A.[2] Le
rapport du C.I.C.R. faisant suite à la visite du 2 décembre 1940 au Stalag IV C
recense 18.349 prisonniers de guerre français et 30 belges. Il est
précisé qu’au camp principal du IV C à Wistritz ne se trouvent que 273
prisonniers. Tous les autres sont répartis dans 225 détachements de travail
dont le plus grand groupe compte à lui seul 5.800 hommes, dont nous savons qu’il
s’agit de celui de « Brüx-Hydrierwerk ».
Sur les 18.349 prisonniers du stalag IV C, à l’exception de 1.000 prisonniers qui
sont occupés à des travaux d’agriculture, tous les autres travaillent dans
l’industrie, notamment dans des carrières de lignite.[3]
Même si le Stalag IV C compte de nombreux kommandos de travail,
le détachement de « Brüx-Hydrierwerk
» et les exploitations minières alentours vont faire à eux seuls la tristement
célèbre réputation de ce stalag. Les prisonniers parleront de « L’enfer de Brüx »… et Henri DUPLECH [4]
qui y passera trois mois évoque « ... l’enfer,
le bagne de Brüx, le camp de la mort ». Roger DESPINARD, un
ancien prisonnier de guerre du camp A (camp 17) de Brüx écrira : « Brüx, c’était "crève de faim", le travail forcé à l’usine.»[5]
Grâce aux rapports d’inspection du C.I.C.R. et aux témoignages de prisonniers
de guerre rapatriés, Yves Durand publiera sous le titre « L’enfer de Brüx », des informations
concernant le détachement de « Brüx-Hydrierwerk
» et les conditions de travail réservées aux hommes des camps associés. Il écrit :
« Sur le versant sud de
l’Erzgebirge, au sud de Dresde et à une dizaine de kilomètres au nord-est de la
ville de Brüx, se trouvent les chantiers, mines et usines de l’entreprise
d’hydrogénation appelée « Hydrierwerk-Brüx ». Au centre de la zone industrielle, voisins
des gazomètres et des réserves de carburant, s’étendent deux camps de
prisonniers. Cette région est évidemment une zone dangereuse ; l’air est
empesté par la fumée ; la poussière de lignite et les émanations des
usines de distillation le rendent insalubre. Plus de 8.000 prisonniers français
et d’autres nationalités, ainsi que des travailleurs civils y sont employés.
Les conditions de travail très dures, sa durée, les conditions de logement
précaires font que l’existence de ces prisonniers est des plus pénibles. »[6]
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L'usine de "Brüx-Hydrierwerk" où des milliers de prisonniers français et d'autres nationalités ont travaillé, dans une atmosphère empoisonnée, aux côtés de milliers d'autres ouvriers et travailleurs civils, Allemands et étrangers. (source photo : www.sandsteinzeit.bplaced.net) |
En juin 1943,
aucune protection contre les bombardements aériens n’avait été réalisée pour
les prisonniers au camp 17/18, à proximité de l’usine d’hydrogénation de la
société « Sudetenländische
Treibstoffwerke AG »
(STW) près de Brüx. Celles qui étaient prévues ont été jugées inutiles par une
commission d’économie venue de Dresde. L’inspecteur du C.I.C.R. J.E. Friedrich
suite à sa visite dans les camps 17/18 et 27, le 26 juin 1943 écrit :
« Les baraques (…) sont situées à côté des gazomètres et
réservoirs d’essence, c’est-à-dire dans une zone éminemment dangereuse. La
population civile, les travailleurs civils logés dans des baraques, et les
membres de la Wehrmacht chargés de la garde des prisonniers disposent de
tranchées-abris, c’est-à-dire de tranchées creusées à peu de profondeur (l’eau
apparaît à environ 1.50 m sous le sol), recouvertes de briques et de ciment,
qui présentent une bonne protection contre les éclats de D.C.A. et les
effets de la déflagration. On avait prévu quelque chose d’identique pour les
prisonniers ; des tranchées en zigzag (actuellement remplies d’eau et à
moitié effondrées) ont été creusées par les prisonniers, entre les baraques,
pendant leur temps libre. Une partie du matériel nécessaire (briques, planches
et ciment) est resté sur place. Il est regrettable qu’une commission d’économie
(« Spar-Kommission »), venue de Dresden [Dresde], ait fait cesser les travaux, estimant que
les prisonniers n’avaient pas besoin d’une telle protection. Les Autorités
militaires sont du même avis que nous à cet égard ; nous espérons que nos
démarches auprès des Autorités supérieures procureront à ces prisonniers la
protection à laquelle ils ont droit, au même titre que les autres habitants de
la région. »[7]
Des tranchées en zigzags seront cependant aménagées avant
avril 1944 et sur le rapport de visite des inspecteurs Paul Wyss et du Dr
Thudichum du 18 avril 1944, on peut lire : « La question des abris antiaériens s’est également beaucoup
améliorée ; au camp 17, de nouveaux abris ont été construits, profonds et
couverts ; les prisonniers en sont satisfaits. »[8]
Toutefois, les deux délégués de La Croix-Rouge notent : « La situation de ce camp n’a pas changé, dans
une zone dangereuse, où l’air est empesté de poussière, de fumée et
d’émanations des usines de distillations. »[9]
Au sujet des abris anti-aériens autour du camp 17/18 à Brüx, le rapport du
C.I.C.R. du 27 octobre 1944 formule : « Ils sont satisfaisants en général. Depuis le bombardement de Brüx en
mai, les prisonniers sont autorisés à se réfugier dans les mines, qui se sont
révélées être des abris excellents. Les alertes sont données 40 minutes environ
avant l’arrivée des bombardiers alliés, de sorte que les membres du personnel
sanitaire peuvent transporter les malades en lieu sûr. »[10]
12 mai 1944 : un premier bombardement meurtrier
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L'usine en feu le 12 mai 1944 (source photo : www. unipetrolrpa.cz) |
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Les P.G. fouillant les décombres après le raid aérien. (source photo : http://litvinov.sator.eu/ ) |
Des bombardements et des alertes qui se poursuivent jusqu’en mars 1945 !
Les bombardements vont se poursuivre comme le relate le
même journal de Charlemagne MIDAVAINE : « 21 juillet : nouveau bombardement, l’alerte a sonné à 11h, 10mn
après, ils bombardaient. Il est venu une douzaine de vague. Je n’ai pas pu me
camoufler, j’étais aux W.C. J’ai assisté avec 4 ou 5 copains au bombardement.
Il y eu une fosse [il s’agit ici d’une mine de lignite à ciel ouvert] de touchée à 1 km où j’étais. Maltheuern et
un camp de prisonniers a pris quelque chose. 22 juillet : ils sont revenus
cette nuit, mais j’étais au fond [de la mine]. La D.C.A. a tiré mais ils ont bombardé plus loin à une quinzaine de km
d’ici. 24 août : Troisième bombardement. 10 septembre : Midi alerte,
nous descendons à la mine, nous remontons tous à 2 h et demi. 11
septembre : A 11 h et demi alerte. Ils bombardent la région jusqu’à midi.
Nous distinguons bien quelques bombes. Toute la région de Brüx a pris. 16
septembre : Alerte une heure mais pas de bombardement. 23 septembre :
Alerte à 11 h. Nous descendons à quatre et nous remontons à Guido 2 à 4 h et
demi. Hydrierwerk [il s’agit de l’usine] et la région de Brüx ont pris. 23 octobre : Bombardement du camp
avec bombes incendiaires. Plusieurs maisons civiles proches du camp ont flambé.
25 décembre : Noël. Alerte à 1h, nous avons la flemme de descendre à
Guido. Nous allons aux abris. Bombardement
de la région, 8 bombes sont tombées à 1000 m de l’abri entourant la tranchée où
nous étions 300 et 4 sur le côté du camp. Nous l’avons échappé belle ! Dans
l’abri, nous avons bien cru que cette fois çà y était. La première alerte puis
une deuxième sonne. Il n’a pas fallu nous prier pour descendre à Guido. Mais la
fin a sonné aussitôt. 16 janvier 1945 : A 11 h et demi alerte.
Bombardement de la région. Les avions survolent l’usine à 3400 m d’altitude. Je
démarre du kommando aussitôt les premiers coups de D.C.A. Je descends au puits
voisin par les échelles. Les avions illuminent avant de bombarder. Beaucoup de
dégâts dans la mine où nous travaillons, les bureaux sont soufflés. Il y a
beaucoup de bombes à retardement. 14
février : Trois alertes aujourd’hui : 11 h, 9 h et 21 h. Je descends
au puits à côté. Bombardement de Brüx, d’Hydrierwerk et Jotterdorf. 19
février : Encore alerte à 11 h. »[15]
Augustin CREYSSELS, un
autre PG français évoque aussi le raid de Noël et celui qui dévastera
l’usine à la mi-janvier et ne permettra pas une reprise de la production :
« Pas de trêve le jour de Noël
[1944], des bombes, encore des bombes...
Et à nouveau le 15 janvier 1945 pendant 40 longues minutes : Hydrierwerk est
détruite « à fond »
selon les termes de ce témoin. Il évoque
également le raid du 5 mars qui fera des victimes parmi les français.[16] Dans ses notes, Maurice GABÉ évoque Noël 1944 au camp
17/18 : « sous les bombes,
brouillard, neige, épouvante. » [17]
Entre le 12 mai 1944, date du premier bombardement et la
fin de la guerre, Girbig qui propose un travail de référence sur l’offensive
aérienne des alliés contre l'industrie allemande du carburant de mai 1944 à
avril 1945, [18]
recense 16 attaques [19] sur
le complexe de l’usine d’hydrogénation de Brüx. Dans leur travail, D.
Edvard Beneš et Karl Otto Novák [20]
en dénombrent pour leur part 17 dont 13 en 1944 et 4 en 1945.
De très nombreuses victimes parmi les civils et les prisonniers de guerre !
Ces bombardements répétés feront de nombreuses victimes
parmi les hommes contraints de travailler sur les chantiers de l’usine, qu’ils
soient prisonniers de guerre ou civils. Les
civils des localités environnantes ne seront pas épargnés non plus. Le nombre
précis des victimes n’est pas connu. Le rapport du C.I.C.R. du 27 octobre 1944
indique que le premier bombardement du 12 mai 1944, qui fut une surprise,
aurait tué, parmi les seuls prisonniers de guerre, 68 Français, 50 Britanniques
et 16 Hollandais. Il précise : « Lors
de la seconde attaque, les Français n’ont perdu que deux hommes, et un au cours
des suivantes. Les mesures de protection se sont donc révélées efficaces. »
ou encore « La mort de deux
prisonniers fut encore à déplorer au cours du second bombardement, mais aucun
autre décès n’est survenu depuis lors [27 octobre 1944]. » [21]
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Le réfectoire du kdo 459 sert de chapelle ardente (collection Lacour) |
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Hommage aux disparus (archives Pascaud) |
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La délégation française conduite par E.-J. PASCAUD (3ème à gauche au 1er rang) (photo : archives Pascaud) |
Postérieurement au rapport du C.I.C.R. du 27 octobre 1944, des
décès seront encore enregistrés. Ainsi, Augustin CREYSSELS évoquant les
attaques de Noël 1944 et du 15 janvier 1945 écrit : « pas de victimes (ou presque) parmi les
Français. Par contre le 5 mars le
bombardement fait 400 morts dont 13 Français. »[24]
Des notes de Maurice GABÉ, qui a été un temps, l’homme de confiance du kommando
n°459 indiquent que le 9 mars [en fait, il doit s’agir du 5 mars], il y a eu un
bombardement sur l’usine par un avion isolé qui a fait 50 victimes dont 13 au
camp 17/18. Le prisonnier de guerre, André BARBARA, (matricule n°53761/ Stalag
IV B, né en 1905 à Crouy/Ourcq, Seine-et-Marne) qui n'allait jamais aux abris
est tué en y allant pour la première fois...[25] Selon Loïc Pinçon-Desaize, si aucune liste des prisonniers morts n’a été
dressée au Stalag IV C, treize hommes, prisonniers de guerre français, sont
bien décédés le 5 mars.[26]
Témoignage
Depuis sa paroisse reculée des Basses-Pyrénées (aujourd'hui Pyrénées-Atlantiques), un prêtre évadé s'inquiète pour un ancien compagnon prisonnier à Brüx.
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Une liste de 47 des victimes parmi lesquelles Félix SERRANO, l'ami de Duplech (archives Pascaud) |
Henri DUPLECH (matricule 54313/IV B) est un prêtre qui avait connu, durant trois mois, le chantier de l'usine de Brüx avant d'être muté comme aumônier au camp principal du Stalag IV C de Wistritz qui était aussi le centre administratif de tout le IV C. Henri DUPLECH s'en évadera in extremis avec deux autres camarades alors que les autorités allemandes procédaient, par représailles aux évasions répétées, à la mutation des 3/4 des 200 prisonniers de ce camp vers des kommandos de travail. Parmi ces prisonniers, il y avait Félix SERRANO, l'un de ses proches compagnons, avec lequel il continuera à correspondre depuis la France où, après une évasion réussie, il parvient à rejoindre sa région et sera mis à l'abri à Eslourenties (Pyrénées-Atlantiques). A la radio, depuis sa paroisse, il prend connaissance de l'attaque aérienne sur l'usine de Brüx le 12 mai 1944. Il écrit : « Vers la mi-mai 1944, j'entendis à la radio, que l'usine qui fabriquait de l'essence synthétique, l'usine Hydrierwerk de Brüx où j'avais travaillé au début de ma captivité, avait été bombardée et qu'il y avait une soixantaine de prisonniers français de tués. C'est justement à Brüx que Serrano avait été muté après le balayage qui suivit les évasions de Wistritz. J'écrivis le 20 mai à mon camarade pour l'encourager. Ce n'est qu'en octobre que ma carte me fut renvoyée avec la mention "Gefalben", "Décédé". Cette carte me fut transmise par le secrétariat des Anciens combattants, spécifiant que Félix Serrano "était décédé le 12 mai 1944, au bombardement de Brüx". Je fus profondément attristé." .[27]
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L'usine S.T.W vue du ciel après le bombardement du 12 mai 1944 (source photo : http://litvinov.sator.eu/ ) |
Le premier bombardement des forces alliées du 12 mai 1944
qui tua 68 prisonniers de guerre Français, 50 Britanniques et 16 Hollandais
autour des installations de Brüx fut un choc pour les prisonniers tout comme
dans la population civile des alentours qui va dénombrer des centaines de
morts. Pour les prisonniers de guerre, une cérémonie en l'honneur des victimes
aura lieu le 16 mai 1944 à Tschausch dans le cimetière de la chapelle du
cimetière des prisonniers russes, aujourd'hui disparu.
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Copie de la fiche de décès de Daniel ALBERT (archives Pascaud) |
Les recherches de Loïc Pinçon-Desaize permettent
d’établir une première liste des prisonniers de guerre français du Stalag IV C,
déclarés morts, notamment ceux victimes des bombardements autour du site de
l’usine de « Brüx-Hydrierwerk » :
64 le 12 mai 1944, 8 le 21 juillet 1944 et 13 le 5 mars 1945. Tous ont été tués
dans le district de Maltheuern et inhumés à Tschausch. Pour les cas de CHALMIN
Henri, DESMOOR Gaston, NOUHAUD Jean et PEIGNEY René, les mentions du district
d’appartenance et du lieu d’inhumation font défaut dans les archives même si
nous pressentons qu’ils sont décédés du fait du bombardement et probablement
enterrés à Tschausch. Pour le cas de VANDERHAEGEN André, son corps n’a pas été
retrouvé. Pour plus d’information, le lecteur pourra se référer au travail de
Loïc Pinçon-Desaize (Les Français, décédés au IV C. Morts en captivité... [29]
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Inventaire des effets de Raymond BLANCHETOT retournés à sa femme (archives Pascaud) |
Des difficultés impressionnantes dans les camps autour de l’usine de « Brüx-Hydrierwerk » !
Les bombardements répétés génèrent de nombreuses
difficultés matérielles qui compliquent la vie des hommes, prisonniers de
guerre dans les camps situés en périphérie de l’usine d’hydrogénation soumise
aux bombardements alliés. Le rapport du C.I.C.R. du 27 octobre 1944
précise : « À Brüx, où se
trouvent les grands détachements de travail industriels (avec plusieurs
milliers de prisonniers de toutes nationalités) 15 baraques ont été
complètement anéanties avec tout ce qu’elles contenaient ; de nombreuses
autres encore ont été fortement endommagées. Il n’a pas été possible aux
entreprises de remplacer ces baraques de sorte que les prisonniers ont été
entassés dans celles qui subsistaient. Toutes les places disponibles ont été
occupées et les réfectoires, salles de théâtre, etc. ont été transformées en
dortoirs ; ainsi le nombre de prisonniers est beaucoup trop fort ;
les autorités allemandes le reconnaissent fort bien, et ont assuré les Délégués
que cette situation serait provisoire ; de nombreux cantonnements doivent
prochainement être mis à disposition. »[30]
Le camp n°22, installés non loin du camp 17/18 et qui compte 1900 prisonniers
de guerre Britanniques travaillant pour la société « Sudetenländische Treibstoffwerke AG »
(STW) dans l’usine d’hydrogénation de « Brüx-Hydrierwerk » sont logés à la même enseigne. Le camp a
été endommagé par des bombes en janvier 1945. Promesse avait été faite à la
Délégation de la Puissance Protectrice qui avait visité le camp le 24 janvier
de remplacer les deux baraques bombardées. Le travail aurait commencé mais ne
serait pas achevé. Deux baraques auraient bien été réparées, mais le corps de
garde allemand s’en serait emparé, de sorte que les Britanniques auraient dû
les quitter pour s’entasser dans une baraque où ils n’ont à présent que la
moitié de la place dont ils disposaient auparavant. La salle de théâtre aurait
également été convertie en dortoirs où 225 Britanniques seraient logés dans des
conditions hygiéniques très défavorables. Les autorités allemandes auraient
promis de procurer de meilleurs logements. Le rapport ajoute : « Sur tous ces points, le « Kontroll Offizier » allemand a donné les réponses
suivantes : aucune promesse formelle n’a été faite à la Puissance
Protectrice. L’on dispose de 7 baraques en tout. [Le 25 février 1945], 2 baraques seront occupées et une autre sera
remise à neuf. La salle de théâtre ne peut pas être complètement évacuée, mais
ne sera dès à présent qu’à moitié occupée. On promet que d’ici au 28
février, chaque prisonnier aura 2 couvertures. Des couchettes ont été réclamées
mais on ne saurait garantir la date où elles seront livrées, en raison des
difficultés de transport actuelles. »[31]
Maurice GABÉ précise qu’au début mars 1945, le camp 17/18
n'a plus que la moitié de ses baraques qui ont été détruites par les
bombardements successifs…[32]
Il existe également le témoignage des Hollandais du camp 17/18 de Brüx arrivés
à la fin de l’année 1943 qui profitent de la venue du délégué Kleiner du
C.I.C.R., le 25 février 1945 au Stalag IV C, pour exposer la situation :
« Les Hollandais communiquent en
outre que 1100 des leurs ont tout perdu au camp 17/18 à la suite de
bombardements et que 800 d’entre eux n’ont plus qu’un assortiment de
linge ; on réclame un envoi urgent de sous-vêtements. De même 1200
couvertures de laine ont été brûlées à ce détachement de sorte que 400
Hollandais doivent à présent se contenter de 200 couvertures seulement. »[33]
Une expérience qui marquera durablement les prisonniers de guerre
Au sujet de Jean Louis MERLE qui a passé sa captivité à
Brüx au sein du kommando n°459, son fils Pierre indique que son père ne
s’étendait jamais sur son expérience des bombardements qui toucheront l’usine
de « Brüx-Hydrierwerk ». Dans son récit, Pierre Merle ajoute :
« Quand il en parlait, il décrivait
cette peur au ventre, cette peur panique qui saisissait certains, surtout quand
çà se mettait à dégringoler particulièrement dur ». Dans les
abris , « Il m’a décrit ces
gars qui, tout à coup, perdaient la raison, hurlaient, voulaient sur-le-champ
s’extraire de là-dedans, s’enfuir n’importe où et tout de suite, dégager coûte
que coûte en giclant de l’abri, même sous les bombes, qu’importe, et sortir du
cauchemar d’une manière ou d’une autre. Et puis oublier dans une fuite éperdue
l’abri… le camp… la misère… l’éloignement… s’oublier, se perdre eux-mêmes
quitte à perdre la vie. Une vie qui, à leurs yeux et à cet instant-là, valait
quoi, au juste ?... Alors, ces gars-là, il fallait les calmer, les
raisonner… dans la mesure du possible en attendant qu’il s’arrête de grêler
éclats et Shrapnells. Car un bombardement n’est rassurant pour personne. Ils
n’étaient pas très nombreux, certes, ceux dont les nerfs lâchaient, mais cela
arrivait. Et ce n’était pas toujours facile de faire face à la situation quand
elle se produisait ».
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L'évocation de l'angoisse dans les visages des prisonniers pendant un bombardement à Brüx. (croquis de Jean-Louis MERLE - 1945 - reproduit avec l'aimable autorisation de son fils Pierre Merle) - [34] |
Pierre Merle poursuit : « Mon père, lui aussi, en fut longtemps et profondément marqué.
Sans doute furent-ils un certain nombre d’anciens prisonniers à se retrouver
dans le même cas. Ma mère disait en effet que, non seulement la personnalité de
mon père avait énormément changé pendant ces cinq années de captivité, mais
qu’il avait mis à peu près autant de temps à se remettre de cette épreuve. En
tout, donc, dix ans ! Dix ans passés entre barbelés, miradors et
reconstruction ». Pour Jean Louis Merle, il y avait eu bien étendu l’épreuve de la captivité et ces
bombardements auxquelles « on ne
se fait jamais » dira-t-il. Toujours au sujet de son père, Pierre
Merle poursuit : « Pendant de
nombreuses années après la guerre, la nuit, il lui arrivait de se réveiller en
sueur à la simple approche d’un avion de ligne, à mesure que grossissait et
s’amplifiait dans le ciel le lancinant bourdonnement des moteurs. Le jour, le
sentiment d’angoisse était moins fort, bien sûr, mais il existait aussi. Et mon
père sentait quand même grandir en lui une indéfinissable appréhension à mesure
qu’il entendait approcher un zinc. Tel fut le cas tout le temps que furent en
service des avions de ligne à hélices.»[35]
Roger DESPINARD, un ancien P.G. du camp A (au camp 17/18)
de Brüx écrira le 12 septembre 2008 à René DUFOUR : « Je suis toujours présent pour défendre
l’honneur des P.G. de la 2ème guerre mondiale. J’ai des photos des
K.G. qui ont été tués dans les bombardements. Combien de P.G. sont restés à
Brüx, c’est une chose impensable. C’était la guerre. C’était une jeunesse
perdue. »[36]
Notons que Roger DESPINARD aura un compagnon prisonnier de guerre dénommé
PRUDHOMME qui résidait à Orléans (Loiret) et qui souffrait de surdité suite à
l’un des bombardements sur le site de Brüx.
L’enfer de Brüx !
Le chantier et les usines de la
Hydrierwerk sont ainsi connus sous le nom de « L’enfer de Brüx », terme sous lequel un homme de confiance de
compagnie, les aurait présentés un jour à Scapini [Georges Scapini était chef
du Service diplomatique des prisonniers de guerre, en Allemagne, à Berlin, avec
le rang d'ambassadeur]. Un P.G. rapatrié en juillet 1942 dit que « la misère des P.G. y est si terrible
que certains se mutilent pour en sortir ». Un P.G. se serait fait sauter 5 doigts d’une main d’un coup de hache.
Malgré tout cela, et malgré le peu de loisirs des P.G., il y a des troupes de
théâtre, des orchestres, des équipes de football. Certains P.G. arrivent à
préparer et à passer le certificat d’études. »[37]
Un autre
témoignage a été publié par Yves Durand.[38]
Il lui a été adressé, le 9 mars 1979, par Jean MOCAËR, ancien P.G. d’un
kommando de la Reichsbahn à Brüx (district de travail de Brüx-Ville).[39]
Il a d’ailleurs été l’homme de confiance de ce kommando. Le témoin écrit :
« A ma connaissance, les mots
« Enfer de Brüx » ont été prononcés pour la première fois par
le Père [Louis] LEFEUVRE, aumônier du
grand camp de prisonniers de guerre français de Brüx-Hydrierwerk. Vous savez
que les aumôniers jouissaient d’une certaine liberté pour aller dire leurs
messes dans des kommandos voisins, même en Tchécoslovaquie où pourtant tous les
prisonniers de guerre étaient derrière les barbelés. Un jour que le père
LEFEUVRE se promenait avec le R.P. [Alexandre] BELLU, aumônier de mon kommando et moi-même, sur les premiers
contreforts de l’Erzgebirge, il s’arrêta soudain pour nous dire : « Si j’avais à commenter la vision de l’Enfer,
je ne pourrais mieux faire que de décrire ce que je vois sous mes yeux. C’est
vraiment l’Enfer de Brüx ». Et
voici ce qu’il voyait : sous un ciel bas et gris de novembre, l’immense
usine d’Hydrierwerk (qui extrayait l’essence du charbon). Un peu un spectacle
comme nos raffineries de la basse-Seine avec en plus d’abondantes et nombreuses
fumées noirâtres (le charbon tchèque fait beaucoup de fumée). Sur la gauche,
plusieurs immenses « cuvettes » de mines de charbon (en Tchécoslovaquie, le
charbon étant à fleur de terre, les mines sont à ciel ouvert) avec le
va-et-vient des petits wagonnets remontant le charbon en spirales à l’intérieur
de ces « cuves ». Et surtout, à droite, de l’autre côté de
l’unique route, l’entassement des baraques de prisonniers devenues grises de
saleté dans cette atmosphère de fumées perpétuelles. C’est ce mot du Père
LEFEUVRE qui a fait tache d’huile et s’est répandu comme un « bouthéon ». Je ne crois pas en effet que le travail
lui-même dans l’usine ait été plus dur que dans mon kommando de travailleurs de
force (rations alimentaires plus fortes). Mais c’est l’ensemble de cet immense
camp (à la fin, en plus des P.G. français, il y avait des Anglais, Belges, Yougoslaves,
Italiens, Ukrainiens, en tout 4500 à 5000 hommes) et l’inconfort des
baraquements qui étaient attristants. Enfin, 16 bombardements alliés sur
l’usine et hélas ses alentours, à partir du 12 mai 1944 apportèrent leurs lots
de tragédies à nos infortunés camarades. Par contre, il existait dans ce grand
camp, une certaine vie sociale, à laquelle ne pouvaient prétendre les petits
kommandos, je veux parler de la troupe théâtrale, des conférences et de la
bibliothèque. »
Sources :
[1] Rapport C.I.C.R. Détachement de travail, Brüx dépendant du Stalag IV C (Wistritz) et B.A.B. français autonomes de Brüx, visités le 26 juin 1943 par J.E. Friedrich, 6 p.
[2] Durand (Yves) (1980). La captivité : histoire des prisonniers de guerre français (1939-1945). Fédération Nationale des Combattants Prisonniers de Guerre et combattants d’Algérie, Tunisie, Maroc (F.N.C.P.G.-C.A.T.M.), éditeur, Paris, 548 p. (p. 116).
[3] Rapport C.I.C.R. sur le Stalag IV C, Wistritz, visite du 2 décembre 1940. Archives du Comité International de la Croix-Rouge, Genève
[4] Duplech
(Henri) (2011). Mon évasion du stalag IV
C. Tchécoslovaquie, pays des Sudètes. Éditions Atlantica, Biarritz, 180 p.
(p. 28).
[5] Témoignage inédit. Documentation personnelle de
René Dufour, ancien P.G.
[6] Durand (1980). Op. cit., p. 140.
[7] Rapport C.I.C.R. Détachement de travail, Brüx
dépendant du Stalag IV C (Wistritz) et B.A.B. français autonomes de Brüx,
visités le 26 juin 1943 par J.E. Friedrich, 6 p.
[8] Rapport C.I.C.R. Détachement de travail Brüx
(Stalag IV C), visité le 18 avril 1944 par Mr Paul Wyss et le Dr
Thudichum, 4 p.
[9] Ibidem
[10] Rapport C.I.C.R. Stalag IV C, Wistritz, visité le
27 octobre 1944 par les Dr Thudichum et Landolt, 9 p.
[11] Rapport C.I.C.R. Détachement de
travail, Brüx dépendant du Stalag IV C (Wistritz) et B.A.B. français autonomes
de Brüx, visités le 26 juin 1943 par J.E. Friedrich, 6 p. et rapport C.I.C.R.
Détachement de travail Brüx (Stalag IV C), visité le 18 avril 1944 par Mr
Paul Wyss et le Dr Thudichum, 4 p.
[12] Ibidem
[13] Dossier Augustin CREYSSELS. Le Carnet d’Augustin in : http://stalag4c.blogspot.com/search?q=creyssels
[14] Journal de Charlemagne MIDAVAINE in https://www.facebook.com/groups/275126899218925/,
groupe de discussion des Stalags IV.
[15] Ibidem
[16] Dossier Augustin CREYSSELS. Le Carnet d’Augustin in : http://stalag4c.blogspot.com/search?q=creyssels
[17] Mémoires d’un homme de confiance de Brüx par Maurice Gabé. Notes s’étalant de juin 1943 à mai 1945, 2 pages. Archives d’Élie-Jean Pascaud, homme de confiance général du Stalag IV C, document communiqué par Loïc Pinçon-Desaiz
[18] Pour plus de détails voir Girbig (Werner) (2003). Die Luftoffensive gegen die deutsche Treistoffindustrie Und der Abwehreinsatz 1944-1945. Motorbuch Verlag, Stuttgart, 223 p.
[19] Girbig (2003). Op.cit., pp. 217-221. L'attaque du 12 mai 1944 qui touchera simultanément les complexes de Böhlen, Brüx, Lützkendorf, Merseburg et Zeist est détaillée pp. 13-32.
[20] D. Edvard Beneš et Karl Otto Novák in http://litvinov.sator.eu
[21] Rapport C.I.C.R. Stalag IV C, Wistritz, visité le
27 octobre 1944 par les Dr Thudichum et Landolt, 9 p.
[22] Loïc Pinçon-Desaize, comm. pers.
[23] Journal de Charlemagne MIDAVAINE in https://www.facebook.com/groups/275126899218925/, groupe
de discussion des Stalags IV.
[24] Témoignage d’Augustin CREYSSELS in http://stalag4c.blogspot.com/2013/10/dossier-augustin-cresseyls.html
[25] Mémoires d’un homme de confiance
de Brüx par Maurice GABÉ. Notes s’étalant de juin 1943 à mai 1945, 2 pages.
Archives d’Élie-Jean Pascaud, homme de confiance général du Stalag IV C,
document communiqué par Loïc Pinçon-Desaize.
[26]Les Français, décédés au IV C. Morts en
captivité... in : http://stalag4c.blogspot.com/2014/01/les-francais-decedes-au-iv-c.html
[27] Duplech (2011). Op. cit., pp. 122-123 et 153-154.
[28] Source : http://cs.wikipedia.org/
[29] Les Français, décédés au IV C.
Morts en captivité... in :http://stalag4c.blogspot.com/2014/01/les-francais-decedes-au-iv-c.html
[30] Rapport C.I.C.R. Stalag IV C,
Wistritz, visité le 27 octobre 1944 par les Dr Thudichum et Landolt,
9 p.
[31] Rapport C.I.C.R., Stalag IV C, visité le 25
février 1945 par Mr Kleiner, 11 p.
[32] Mémoires d’un homme de confiance
de Brüx par Maurice Gabé. Notes s’étalant de juin 1943 à mai 1945, 2 pages.
Archives d’Élie-Jean Pascaud, homme de confiance général du Stalag IV C,
document communiqué par Loïc Pinçon-Desaize.
[33] Rapport C.I.C.R., Stalag IV C, visité le 25
février 1945 par Mr Kleiner, 11 p.
[34] Croquis de Jean Louis Merle extrait de Merle (2005). Op. cit., p. 62.
[34] Croquis de Jean Louis Merle extrait de Merle (2005). Op. cit., p. 62.
[35] Merle (Pierre) (2005). Stalag IV C ou : scène de la vie
quotidienne de prisonnier de guerre (Illustré des dessins de Jean Louis
Merle). Éditions e/dite, Paris, 106 p. et 16 planches en couleur. (pp. 61-63).
[36] Témoignage inédit. Documentation personnelle de
René Dufour.
[37] Durand (1980). Op. cit., pp.140-141.
[38] Durand (1980). Op. cit., pp. 140-141.
[39] Ce kommando dit de
« Brüx-Reichsbahn » appartenait au district de travail de
« Brüx-ville » (Stalag IV C). Il était situé sur la route de Brüx à
Kopitz, dans le prolongement de la gare de Brüx. Constitué d’un effectif de 250
hommes, Jean Mocaër en a été l’homme de confiance. Ce dernier travaillera à la
Compagnie Transatlantique et résidait au Havre (Seine-Maritime).
Texte et recherches de François Léger
Mise en pages et choix des photos et documents : Loïc Pinçon-Desaize
Texte et recherches de François Léger
Mise en pages et choix des photos et documents : Loïc Pinçon-Desaize
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