Le premier bombardement des forces alliées du 12 mai 1944
qui tua 68 prisonniers de guerre Français, 50 Britanniques et 16 Hollandais
autour des installations de Brüx fut un choc pour les prisonniers tout comme
dans la population civile des alentours qui va dénombrer des centaines de
morts. Pour les prisonniers de guerre, une cérémonie en l'honneur des victimes
aura lieu le 16 mai 1944 à Tschausch dans le cimetière de la chapelle du
cimetière des prisonniers russes, aujourd'hui disparu.
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16 mai 1944 : enterrement des victimes du 1er bombardement (collection Lacour)
La cérémonie aura lieu sur le territoire de Tschausch (actuellement Souš, République tchèque) près de la chapelle (en arrière plan) du cimetière des prisonniers russes. Cette chapelle était située à moins de 3km au sud de l’usine bombardée et du camp 17/18. Ce village de Souš, rattaché de nos jours à Most (Brüx en allemand) est situé à environ 3,5 km au nord-ouest du centre de cette ville. Le village de Souš a été démoli au cours des années 1960 pour permettre l’exploitation minière du lignite. De nos jours, il ne subsiste seulement qu’une petite partie du village d'origine.[28] Quant à la ville de Most elle a été déplacée pour les mêmes raisons. |
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Copie de la fiche de décès de Daniel ALBERT (archives Pascaud) |
Les recherches de Loïc Pinçon-Desaize permettent
d’établir une première liste des prisonniers de guerre français du Stalag IV C,
déclarés morts, notamment ceux victimes des bombardements autour du site de
l’usine de « Brüx-Hydrierwerk » :
64 le 12 mai 1944, 8 le 21 juillet 1944 et 13 le 5 mars 1945. Tous ont été tués
dans le district de Maltheuern et inhumés à Tschausch. Pour les cas de CHALMIN
Henri, DESMOOR Gaston, NOUHAUD Jean et PEIGNEY René, les mentions du district
d’appartenance et du lieu d’inhumation font défaut dans les archives même si
nous pressentons qu’ils sont décédés du fait du bombardement et probablement
enterrés à Tschausch. Pour le cas de VANDERHAEGEN André, son corps n’a pas été
retrouvé. Pour plus d’information, le lecteur pourra se référer au travail de
Loïc Pinçon-Desaize (Les Français, décédés au IV C. Morts en captivité... [29]
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Inventaire des effets de Raymond BLANCHETOT retournés à sa femme (archives Pascaud) |
Des difficultés
impressionnantes dans les camps autour de l’usine de « Brüx-Hydrierwerk » !
Les bombardements répétés génèrent de nombreuses
difficultés matérielles qui compliquent la vie des hommes, prisonniers de
guerre dans les camps situés en périphérie de l’usine d’hydrogénation soumise
aux bombardements alliés. Le rapport du C.I.C.R. du 27 octobre 1944
précise : « À Brüx, où se
trouvent les grands détachements de travail industriels (avec plusieurs
milliers de prisonniers de toutes nationalités) 15 baraques ont été
complètement anéanties avec tout ce qu’elles contenaient ; de nombreuses
autres encore ont été fortement endommagées. Il n’a pas été possible aux
entreprises de remplacer ces baraques de sorte que les prisonniers ont été
entassés dans celles qui subsistaient. Toutes les places disponibles ont été
occupées et les réfectoires, salles de théâtre, etc. ont été transformées en
dortoirs ; ainsi le nombre de prisonniers est beaucoup trop fort ;
les autorités allemandes le reconnaissent fort bien, et ont assuré les Délégués
que cette situation serait provisoire ; de nombreux cantonnements doivent
prochainement être mis à disposition. »[30]
Le camp n°22, installés non loin du camp 17/18 et qui compte 1900 prisonniers
de guerre Britanniques travaillant pour la société « Sudetenländische Treibstoffwerke AG »
(STW) dans l’usine d’hydrogénation de « Brüx-Hydrierwerk » sont logés à la même enseigne. Le camp a
été endommagé par des bombes en janvier 1945. Promesse avait été faite à la
Délégation de la Puissance Protectrice qui avait visité le camp le 24 janvier
de remplacer les deux baraques bombardées. Le travail aurait commencé mais ne
serait pas achevé. Deux baraques auraient bien été réparées, mais le corps de
garde allemand s’en serait emparé, de sorte que les Britanniques auraient dû
les quitter pour s’entasser dans une baraque où ils n’ont à présent que la
moitié de la place dont ils disposaient auparavant. La salle de théâtre aurait
également été convertie en dortoirs où 225 Britanniques seraient logés dans des
conditions hygiéniques très défavorables. Les autorités allemandes auraient
promis de procurer de meilleurs logements. Le rapport ajoute : « Sur tous ces points, le « Kontroll Offizier » allemand a donné les réponses
suivantes : aucune promesse formelle n’a été faite à la Puissance
Protectrice. L’on dispose de 7 baraques en tout. [Le 25 février 1945], 2 baraques seront occupées et une autre sera
remise à neuf. La salle de théâtre ne peut pas être complètement évacuée, mais
ne sera dès à présent qu’à moitié occupée. On promet que d’ici au 28
février, chaque prisonnier aura 2 couvertures. Des couchettes ont été réclamées
mais on ne saurait garantir la date où elles seront livrées, en raison des
difficultés de transport actuelles. »[31]
Maurice GABÉ précise qu’au début mars 1945, le camp 17/18
n'a plus que la moitié de ses baraques qui ont été détruites par les
bombardements successifs…[32]
Il existe également le témoignage des Hollandais du camp 17/18 de Brüx arrivés
à la fin de l’année 1943 qui profitent de la venue du délégué Kleiner du
C.I.C.R., le 25 février 1945 au Stalag IV C, pour exposer la situation :
« Les Hollandais communiquent en
outre que 1100 des leurs ont tout perdu au camp 17/18 à la suite de
bombardements et que 800 d’entre eux n’ont plus qu’un assortiment de
linge ; on réclame un envoi urgent de sous-vêtements. De même 1200
couvertures de laine ont été brûlées à ce détachement de sorte que 400
Hollandais doivent à présent se contenter de 200 couvertures seulement. »[33]
Une expérience qui
marquera durablement les prisonniers de guerre
Au sujet de Jean Louis MERLE qui a passé sa captivité à
Brüx au sein du kommando n°459, son fils Pierre indique que son père ne
s’étendait jamais sur son expérience des bombardements qui toucheront l’usine
de « Brüx-Hydrierwerk ». Dans son récit, Pierre Merle ajoute :
« Quand il en parlait, il décrivait
cette peur au ventre, cette peur panique qui saisissait certains, surtout quand
çà se mettait à dégringoler particulièrement dur ». Dans les
abris , « Il m’a décrit ces
gars qui, tout à coup, perdaient la raison, hurlaient, voulaient sur-le-champ
s’extraire de là-dedans, s’enfuir n’importe où et tout de suite, dégager coûte
que coûte en giclant de l’abri, même sous les bombes, qu’importe, et sortir du
cauchemar d’une manière ou d’une autre. Et puis oublier dans une fuite éperdue
l’abri… le camp… la misère… l’éloignement… s’oublier, se perdre eux-mêmes
quitte à perdre la vie. Une vie qui, à leurs yeux et à cet instant-là, valait
quoi, au juste ?... Alors, ces gars-là, il fallait les calmer, les
raisonner… dans la mesure du possible en attendant qu’il s’arrête de grêler
éclats et Shrapnells. Car un bombardement n’est rassurant pour personne. Ils
n’étaient pas très nombreux, certes, ceux dont les nerfs lâchaient, mais cela
arrivait. Et ce n’était pas toujours facile de faire face à la situation quand
elle se produisait ».
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L'évocation de l'angoisse dans les visages des prisonniers pendant un bombardement à Brüx. (croquis de Jean-Louis MERLE - 1945 - reproduit avec l'aimable autorisation de son fils Pierre Merle) - [34] |
Pierre Merle poursuit : « Mon père, lui aussi, en fut longtemps et profondément marqué.
Sans doute furent-ils un certain nombre d’anciens prisonniers à se retrouver
dans le même cas. Ma mère disait en effet que, non seulement la personnalité de
mon père avait énormément changé pendant ces cinq années de captivité, mais
qu’il avait mis à peu près autant de temps à se remettre de cette épreuve. En
tout, donc, dix ans ! Dix ans passés entre barbelés, miradors et
reconstruction ». Pour Jean Louis Merle, il y avait eu bien étendu l’épreuve de la captivité et ces
bombardements auxquelles « on ne
se fait jamais » dira-t-il. Toujours au sujet de son père, Pierre
Merle poursuit : « Pendant de
nombreuses années après la guerre, la nuit, il lui arrivait de se réveiller en
sueur à la simple approche d’un avion de ligne, à mesure que grossissait et
s’amplifiait dans le ciel le lancinant bourdonnement des moteurs. Le jour, le
sentiment d’angoisse était moins fort, bien sûr, mais il existait aussi. Et mon
père sentait quand même grandir en lui une indéfinissable appréhension à mesure
qu’il entendait approcher un zinc. Tel fut le cas tout le temps que furent en
service des avions de ligne à hélices.»[35]
Roger DESPINARD, un ancien P.G. du camp A (au camp 17/18)
de Brüx écrira le 12 septembre 2008 à René DUFOUR : « Je suis toujours présent pour défendre
l’honneur des P.G. de la 2ème guerre mondiale. J’ai des photos des
K.G. qui ont été tués dans les bombardements. Combien de P.G. sont restés à
Brüx, c’est une chose impensable. C’était la guerre. C’était une jeunesse
perdue. »[36]
Notons que Roger DESPINARD aura un compagnon prisonnier de guerre dénommé
PRUDHOMME qui résidait à Orléans (Loiret) et qui souffrait de surdité suite à
l’un des bombardements sur le site de Brüx.
L’enfer de
Brüx !
Le chantier et les usines de la
Hydrierwerk sont ainsi connus sous le nom de « L’enfer de Brüx », terme sous lequel un homme de confiance de
compagnie, les aurait présentés un jour à Scapini [Georges Scapini était chef
du Service diplomatique des prisonniers de guerre, en Allemagne, à Berlin, avec
le rang d'ambassadeur]. Un P.G. rapatrié en juillet 1942 dit que « la misère des P.G. y est si terrible
que certains se mutilent pour en sortir ». Un P.G. se serait fait sauter 5 doigts d’une main d’un coup de hache.
Malgré tout cela, et malgré le peu de loisirs des P.G., il y a des troupes de
théâtre, des orchestres, des équipes de football. Certains P.G. arrivent à
préparer et à passer le certificat d’études. »[37]
Un autre
témoignage a été publié par Yves Durand.[38]
Il lui a été adressé, le 9 mars 1979, par Jean MOCAËR, ancien P.G. d’un
kommando de la Reichsbahn à Brüx (district de travail de Brüx-Ville).[39]
Il a d’ailleurs été l’homme de confiance de ce kommando. Le témoin écrit :
« A ma connaissance, les mots
« Enfer de Brüx » ont été prononcés pour la première fois par
le Père [Louis] LEFEUVRE, aumônier du
grand camp de prisonniers de guerre français de Brüx-Hydrierwerk. Vous savez
que les aumôniers jouissaient d’une certaine liberté pour aller dire leurs
messes dans des kommandos voisins, même en Tchécoslovaquie où pourtant tous les
prisonniers de guerre étaient derrière les barbelés. Un jour que le père
LEFEUVRE se promenait avec le R.P. [Alexandre] BELLU, aumônier de mon kommando et moi-même, sur les premiers
contreforts de l’Erzgebirge, il s’arrêta soudain pour nous dire : « Si j’avais à commenter la vision de l’Enfer,
je ne pourrais mieux faire que de décrire ce que je vois sous mes yeux. C’est
vraiment l’Enfer de Brüx ». Et
voici ce qu’il voyait : sous un ciel bas et gris de novembre, l’immense
usine d’Hydrierwerk (qui extrayait l’essence du charbon). Un peu un spectacle
comme nos raffineries de la basse-Seine avec en plus d’abondantes et nombreuses
fumées noirâtres (le charbon tchèque fait beaucoup de fumée). Sur la gauche,
plusieurs immenses « cuvettes » de mines de charbon (en Tchécoslovaquie, le
charbon étant à fleur de terre, les mines sont à ciel ouvert) avec le
va-et-vient des petits wagonnets remontant le charbon en spirales à l’intérieur
de ces « cuves ». Et surtout, à droite, de l’autre côté de
l’unique route, l’entassement des baraques de prisonniers devenues grises de
saleté dans cette atmosphère de fumées perpétuelles. C’est ce mot du Père
LEFEUVRE qui a fait tache d’huile et s’est répandu comme un « bouthéon ». Je ne crois pas en effet que le travail
lui-même dans l’usine ait été plus dur que dans mon kommando de travailleurs de
force (rations alimentaires plus fortes). Mais c’est l’ensemble de cet immense
camp (à la fin, en plus des P.G. français, il y avait des Anglais, Belges, Yougoslaves,
Italiens, Ukrainiens, en tout 4500 à 5000 hommes) et l’inconfort des
baraquements qui étaient attristants. Enfin, 16 bombardements alliés sur
l’usine et hélas ses alentours, à partir du 12 mai 1944 apportèrent leurs lots
de tragédies à nos infortunés camarades. Par contre, il existait dans ce grand
camp, une certaine vie sociale, à laquelle ne pouvaient prétendre les petits
kommandos, je veux parler de la troupe théâtrale, des conférences et de la
bibliothèque. »