"Allo, allo ! Ici parle le prisonnier de guerre français Élie-Jean PASCAUD, homme de confiance général des prisonniers de guerre français du stalag IV C"
"Ce message est destiné à tous les P.G. français appartenant au stalag IV C, ainsi qu'aux évacués d'autres stalags, actuellement sur le territoire du dit stalag IV C"
"Mes chers camarades,
Il y a quatre jours seulement, je vous demandais ici même, de prendre patience, de rester sagement dans vos kommandos, de ne pas bouger et, dans votre propre intérêt, d'attendre sur place les ordres officiels de départ.
Je vous affirmais que vous n'étiez pas abandonnés.
Les évènements vous apportent la preuve que je ne vous avais pas menti.
J'arrive de Prague où j'ai pu régler et mettre au point avec l'ambassade de France, la question de l'évacuation de notre stalag, pour le cas où les mesures prévues par les autorités anglo-américaines, tarderaient à être mises en application.
Pendant mon absence, mon adjoint a pu, de son côté, obtenir la liaison avec les dites autorités anglo-américaines et la mission française chargée de l'évacuation du IV C. Son voyage à Eger a été couronné de succès, puisque déjà un certain nombre d'entre vous sont partis et que, tous ceux qui restent vont être emmenés incessamment par des camions qui sont attendus et doivent arriver d'un instant à l'autre.
Des précisions à ce sujet vous seront données à la suite de ce message.
Mes chers camarades, ce n'est pas sans une immense émotion que je vous adresse ce message d'adieu ; l'instant tant attendu est enfin arrivé.
Pendant cinq longues années nous avons vécu ensemble ces interminables jours d'attente faits de grands espoirs et trop souvent de déceptions cruelles ; pendant cinq ans nous avons, côte à côte, lutté contre l'adversité, contre le cafard, contre l'emprise démoralisante de l'exil, de la séparation.
Nous avons appris à nous connaître, à nous estimer, à nous aimer. Notre vie en communauté, pour obsédante qu'elle ait pu être par instants, a créé entre nous des liens solides que rien ne peut, que rien ne doit briser ou relâcher.
Faisant fi des origines, des conditions sociales, des idéologies, des croyances, nous avons réalisé cette véritable "union des Français" que constitue la "'grande famille des prisonniers de guerre".
Sur la terre d'exil nous avons appris à mieux aimer notre Patrie ; au contact de l'étranger, nous nous sommes sentis fiers d'être Français, nous avons pu apprécier combien nous avions eu tort autrefois d'être des critiques trop sévères de notre bonne et chère France où il fait toujours bon vivre.
Vous avez été ses meilleurs ambassadeurs, vous avez partout fait apprécier le Français et par votre conduite, votre tenue toujours digne, votre esprit d'initiative, votre allant, votre bonne humeur, vous avez œuvré utilement pour augmenter son prestige.
N'oubliez jamais, mes chers camarades, cette fraternité née dans des heures très dures ; demain, lorsque vous serez rentrés dans vos foyers, restez animés de ce même esprit formé dans la souffrance ; ne vous laissez pas aller à des discussions stériles, sources de divisions. Forts de votre expérience, restez simplement Français et, unis, travaillez de tout votre cœur au relèvement de notre grand pays.
Notre joie pour aussi grande qu'elle soit, ne doit pas nous faire oublier qu'un trop grand nombre de nos compagnons de misère, manqueront tout à l'heure à l'appel...
Notre pensée doit aller pieusement vers tous ceux qui ont souffert, espéré comme nous et qui ont connu le pire destin, celui de mourir en captivité, loin des êtres chers.
Au moment de renaître à la vie, nous ne pouvons oublier que beaucoup de vieux parents, d'épouses, de fiancées fidèles, d'enfants n'auront pas cette joie suprême de revoir le fils, le mari, le promis, le papa si longtemps attendu et espéré.
Dans ces heures de fête et d'allégresse pour nous, leur peine, leur chagrin seront encore plus grands si cela est possible.
Si vous avez déjà réalisé des prodiges de générosité, de solidarité, n'oubliez pas qu'au cours des dernières journées de guerre, de nombreux et nouveaux petits orphelins sont venus s'ajouter, hélas ! à la liste déjà longue de tous vos petits filleuls ; je suis sûr que vous ne faillirez pas à votre devoir, à votre réputation et aux promesses sacrées faites à nos disparus ; promesses qu'en votre nom je renouvelle solennellement aujourd'hui.
Comme par le passé, pour honorer leur mémoire et satisfaire leur vœu le plus cher, vous aiderez, demain comme hier, notre comité de parrainage à continuer son oeuvre magnifique. Tant que mes forces ne me trahiront pas soyez assurés de me trouver à vos côtés.
Mes chers camarades, avant de vous quitter, je tiens à remercier et à féliciter tout particulièrement tous ceux d'entre vous, hommes de confiance de districts, hommes de confiance de kommandos, organisateurs et membres des troupes théâtrales, des orchestres, des groupements sportifs, conférenciers, bibliothécaires, membres des cercles d'études, comme aussi tous nos médecins, sanitaires, tous nos prêtres et tous ceux qui comme eux se sont dévoués, sans compter, dans des conditions souvent très difficiles, pour défendre vos intérêts, vous distraire, vous soigner, vous aider à vous conserver en forme physiquement et moralement, animés d'un splendide esprit de sacrifice, d'abnégation, de désintéressement, et, payant de leur personne et de leur temps, ils ont droit à toute notre estime et à toute notre reconnaissance.
En votre nom à tous, je suis heureux et fier de leur apporter ici ce fraternel et affectueux témoignage de notre gratitude.
Mes chers camarades, je tiens également à vous remercier personnellement de l'amicale confiance que nous m'avez tous témoignée au cours des longs mois où j'ai eu l'insigne honneur en même temps que la tâche délicate et ingrate de vous représenter.
Votre amitié, votre estime ont été et resteront pour moi la plus belle récompense, la seule d'ailleurs à laquelle j'ai jamais espéré.
Je vous demande une dernière fois de ne pas être trop impatients, ni trop exigeants, de rester calmes et disciplinés et de conserver jusqu'au bout "le sourire aux lèvres".
Je fais des vœux pour que vous fassiez un excellent voyage aussi court que possible et que dans quelques jours vous puissiez enfin serrer dans vos bras les êtres chers dont vous êtes depuis si longtemps séparés.
De tout mon cœur je vous souhaite bonne chance et bonne santé ainsi qu'à vos familles et vous donne à tous ma plus fraternelle accolade.
Adieu les gars ou plutôt au revoir !
Vive le IV C ! Vive la Liberté !..
... et plus que jamais, vive la France ! "
(retranscription fidèle du document original et manuscrit de l'auteur de l'appel - en cours de dépôt aux A.N.)
Élie-Jean PASCAUD restera encore de longs mois - avec des membres de son bureau - à Wistritz pour aider au rapatriement des blessés et malades notamment, de son stalag mais également des prisonniers libérés venant de Pologne...
Il a été le représentant de la "Mission Française" en Tchécoslovaquie pour la région de Teplitz jusqu'à son retour en ... févier 1946.
Un article sur É.-J. PASCAUD est publié sur ce blog.
Sources : archives PASCAUD (texte, documents et photos)
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